Comment vous êtes-vous lancé dans la bande dessinée ?
J’ai commencé à travailler très jeune à l’âge de 16 ans dans le journal « Pilote ». A l’époque, ce journal avait un bureau belge. Quelle belle opportunité ! Cela m’a permis de publier dans un journal français prestigieux. J’ai envoyé quelques pages qui constituaient une histoire et elles ont été acceptées.
Après, j’ai publié dans Métal Hurlant puis dans d’autres revues et j’ai commencé comme ça.
Je suis issu d’une famille d’artistes et d’architectes. Cela m’a permis de me lancer plus facilement sur cette voie. Ma famille m’a formé presque naturellement au dessin !
Vous êtes parvenu à faire de vos décors des personnages de BD. Quel est votre secret ?
Je n’ai pas de secret. Je travaille beaucoup. J’ai aussi la passion. Je pense aussi que le fait d’avoir grandi dans une famille d’architectes a certainement influencé mon rapport à l’espace.
Quelles sont vos influences artistiques principales ?
Il y en a beaucoup. Je suis une synthèse de l’influence de nombreux artistes : Winsor McKay, Rembrandt… Beaucoup d’artistes qui parviennent à raconter des histoires. Que ce soit Edward Hopper ou les peintres flamands, ces gens me touchent car ils sont capables de raconter des histoires en images.
Le dernier « Les Cités Obscures » date de 2009, la série est-elle clôturée ?
« Les Cités Obscures » ne sont pas une série au sens classique du terme. On les décrit souvent comme un cycle ou un univers. Les albums ne se suivent pas. On peut les lire dans n’importe quel ordre. Donc, je ne me sens pas obligé d’inclure nos livres dans cette série. Pour le moment, Benoît Peeters et moi-même sommes en train de clôturer le diptyque « Revoir Paris » qui ne s’inscrit pas dans « Les Cités Obscures ». En refaire une après ? Peut-être.
« Revoir Paris » est proche de « Les Cités Obscures ». On en parle d’ailleurs parfois en tant que « Cité Future ».
J’ai d’autres projets pour l’instant mais pourquoi ne pas revenir par la suite au label « Les Cités Obscures ».
Vous travaillez depuis plus de 30 ans avec Benoît Peeters, influencez-vous ses scénarios ?
On crée les histoires à deux. Nous sommes co-concepteurs du récit et c’est ce qui rend notre collaboration intéressante. Benoît n’est pas qu’un scénariste au sens classique du terme. Il construit ses récits. Il travaille aussi sur de nombreux projets : il est biographe, écrivain, réalisateur… C’est dans la collaboration qu’il se sublime ! C’est pour ça que j’aime tant travailler avec lui. Les albums sont les résultats de nos deux tempéraments.
Pour moi, dans la bande dessinée, on ne peut séparer le dessin et l’histoire. Je n’imagine pas une seconde dessiner le scénario de quelqu’un d’autre sans y avoir participé. C’est quelque chose que je n’ai jamais fait et que je ne ferai jamais car j’aime participer à la construction des récits.
N’avez-vous jamais eu envie de voir « Les Cité Obscures » adaptées au cinéma ?
Non ! Cela ne m’intéresse pas. Par contre, j’adore travailler avec des réalisateurs. Je l’ai fait avec Jaco Van Dormael, Raoul Servais et bien d’autres. Je le referai avec plaisir car cela me plaît énormément.
Par contre, je pense que nos albums de bandes dessinées ne sont pas faits pour ça. Si on voulait en faire des films, il faudrait casser le modèle. Cela demanderait un travail qui ne correspond pas au style actuel. Les réalisateurs ont tendance à prendre la bande dessinée littéralement et ne sont pas prêts à ce travail d’adaptation, de réinvention pour créer une œuvre cinématographique.
J’ai moi-même travaillé suffisamment dans le monde cinématographique pour savoir qu’il est très différent de celui de la bande dessinée. Le lien entre les deux univers est plus complexe qu’il n’y paraît. Ce sont des faux amis.
J’ai lu que vous étiez en train de travailler sur un « Blake et Mortimer » avec Jaco Van Dormael ?
C’est vrai, avec Thomas Gunzig également. Il n’y a pas encore grand-chose à en dire. On travaille sur l’histoire. Celle-ci va tourner autour du Palais de Justice de Bruxelles et de la Grande Pyramide de Khéops.
Ce ne sera pas un « Blake et Mortimer » à la Jacobs. Ce sera plus un hommage à Jacobs dessiné à ma manière.
Vous avez réalisé de nombreux projets philatéliques avec la Poste belge. Pourriez-vous nous en parler ?
La Poste m’a contacté pour la première fois en 1991, c’était dans le cadre de la réalisation d’un carnet de 4 timbres pour mettre à l’honneur le Centre Belge de la Bande Dessinée. Ce projet m’avait beaucoup amusé et cela leur a plu aussi. Voilà comment ma collaboration avec la Poste a commencé.
J’ai trouvé cela très intéressant de voir les contraintes liées à la réalisation des timbres-poste. C’est un problème complexe pour un auteur de parvenir à raconter quelque chose dans un espace aussi petit mais c’est aussi ce qui m’a motivé.
Quand la Poste me sollicite, c’est souvent pour des projets un peu curieux. Timbre en relief, réalité augmentée… J’adore l’idée de participer à des projets un peu plus « prospectifs » !
Vous souhaiteriez en faire plus ?
Je ne souhaite pas devenir un professionnel du timbre. Par contre, une aventure dont le timbre est le cœur, je trouve cela très enrichissant. Par exemple, pour la réalité augmentée, j’ai travaillé avec une école à Namur. C’était très intéressant. On a dû réfléchir autrement et ça me convient bien !
Avez-vous une affection particulière pour l’un de ces projets ?
Oui, j’aime beaucoup le feuillet « Antartica » et le timbre que j’ai réalisé sur le Cinquantenaire.
Vous avez aussi conçu une des stations de métro de Paris (Stations des Arts et Métiers) vous avez aussi travaillé sur le projet dentelle stellaire de Lille. Etes-vous conscient de mettre de la magie dans les villes ?
Vous êtes gentille ! Je trouve qu’il manque parfois de magie dans certaines villes. Il manque des œuvres qui sont faites pour elles, qui s’inspirent d’elle. Je trouve que les artistes doivent au travers de leurs œuvres, dialoguer avec la ville de la même façon qu’un paysagiste ou qu’un éclairagiste tient compte de la ville pour faire son travail.
L’artiste doit apporter à la ville du bien-être, mais aussi surprendre, s’inscrire dans son mystère. Je trouve que c’est un vrai sujet d’aujourd’hui.
Par exemple, la dentelle stellaire de Lille était un projet incroyable. J’ai travaillé la nuit avec des artisans italiens pour réinventer des techniques ancestrales et les adapter à Lille.
Travaillez-vous sur plusieurs projets à la fois ?
Je fais plusieurs choses simultanément. Je ne suis pas un dessinateur de bandes dessinées capable de travailler deux ans sans quitter sa table. Je serais épuisé, sec !
J’ai discuté tout à l’heure avec un de mes collègues qui a une formation d’architecte. Il me disait que lire Schuiten faisait partie des impératifs non officiels de sa formation. Etes-vous conscient de l’influence de votre talent en architecture et en bande dessinée ?
J’ai un lien direct avec l’architecture mais j’ai toujours eu un regard de fiction. Je ne suis donc certainement pas un concurrent. Le lien entre mon travail et l’architecture est connu et cela me fait plaisir de savoir que mon travail a encore une vie auprès des jeunes.
Quel est, selon vous, le projet le plus original auquel vous ayez participé ?
Celui sur la Grande Pyramide de Khéops. C’est un bâtiment mythique qui a nourri l’imaginaire de tant d’archéologues et d’artistes. Nous avons la conviction qu’elle n’a pas encore révélé tous ses secrets.
Nous avons donc créé une société sans but lucratif qui s’appelle HIP (Héritage Innovation Préservation) pour centraliser les recherches scientifiques des secrets de la pyramide. On travaille avec différentes techniques : des caméras thermographiques, la technique des muons (à savoir, des particules élémentaires qui traversent les corps solides) des drones… Nous croisons ces techniques pour resserrer un faisceau de présomptions sur des espaces qui ne seraient pas encore découverts.
J’accompagne ce projet. C’est très intéressant. Tout en étant très moderne, Il a un côté expédition d’époque napoléonienne où se mélangeaient scientifiques, archéologues et artistes. Cette fois, il n’y a pas d’archéologues, mais des scientifiques et des artistes dont moi font partie de l’expédition.
C’est un projet enthousiasmant au niveau du croisement des disciplines et aussi au niveau politique. Nous remettons toutes nos découvertes aux Egyptiens et c’est eux qui décident de la manière de communiquer autour de leurs découvertes. C’est un renversement de situation par rapport à ce qui s’est fait dans le passé. Nous sommes très sensibles au fait que c’est leur histoire et tenons à leur remettre les outils qui leur permettront de comprendre leur histoire.
Quelle lecture recommanderiez-vous à un jeune auteur qui veut suivre vos pas ?
Je pense que les jeunes doivent s’intéresser à l’histoire de la bande dessinée. Cela leur permettra de comprendre d’où cela vient. Dès lors, je leur conseillerais de lire les premiers auteurs américains comme Milton Caniff et bien évidemment, Hergé et les Maîtres de la bande dessinée franco-belge. Il faut aussi qu’ils prennent le temps d’apprendre à regarder même si c’est l’une des choses les plus difficiles qui soit.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
De rester vivant ! Et que mon dessin reste lui aussi vivant et passionné !
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