Ce timbre-poste émis en 1845 par le canton de Bâle est une icône de la philatélie classique suisse et l’un des plus beaux timbres parmi les premiers émis au monde. Il a fait rêver des milliers de collectionneurs et continue de les faire rêver aujourd’hui encore ! Son 175e anniversaire valait bien un bel article pour lui rendre hommage ! Par Jean-Louis Emmenegger (AIJP)

Plantons d’abord le décor. Le 1er mai 1840, la Poste du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, à l’initiative de Sir Rowland Hill, met en vente son fameux « Penny Black », pour un usage officiel à partir du 6 mai 1840 : c’est le premier timbre-poste de l’histoire ! Son émission est assortie d’une petite révolution pour l’époque : en effet, désormais, c’est l’expéditeur qui paie le coût postal de l’acheminement de la lettre, et non plus le destinataire comme jusqu’ici ! Et pour payer ses frais postaux d’expédition, l’expéditeur doit justement coller un « Penny Black » au recto de son enveloppe. Peu à peu, cette nouvelle règle va s’imposer. D’ailleurs : 2020 est aussi une année-anniversaire pour le « Penny Black », qui vient de fêter ses 180 ans !

Cantons suisses et Brésil

Poursuivons cette petite chronologie : en 1843, ce sont deux cantons suisses qui suivent l’exemple du « Penny Black » anglais. Il y a d’une part le canton de Zurich, qui met en vente deux timbres le 1er mars 1843, les bien connus « 4 » et « 6 » Rappen, pour le courrier local. Ils sont les premiers timbres-poste des cantons suisses, et à ce titre, ils jouissent d’un grand intérêt, surtout s’ils figurent sur des lettres. Précisons que les timbres de la Confédération helvétique ne seront émis qu’en 1850 et remplaceront les timbres dits « cantonaux ». Le 20 septembre 1843, c’est au tour du canton de Genève de mettre en vente son non moins célèbre « Double de Genève », également pour le courrier local. Pour ces deux cantons suisses, le tarif postal augmente pour les lettres expédiées dans les communes avoisinantes, ce qui permet aux philatélistes de trouver de fort belles lettres inédites. Troisième pays au monde à émettre des timbres-poste après la Grande-Bretagne et les deux cantons suisses susmentionnés, le Brésil met en vente le 1er août 1843 son fameux timbre-poste appelé « Œil de bœuf ».

Bâle et sa Colombe de Bâle

Les autorités de Bâle, ville située au bord du Rhin et aux frontières de l’Allemagne et de la France voisines, avaient suivi avec attention la mise en vente des timbres cantonaux à Zurich et à Genève. Ayant jugé ces deux expériences positives et aussi remarqué que les Bâlois envoyaient toujours plus de courrier, le Conseil municipal décida que la Ville de Bâle émettrait aussi son propre timbre-poste. Dans ce but, elle mandata l’architecte Melchior Berri pour la conception et la réalisation de ce premier timbre bâlois. Melchior Berri était non seulement un architecte connu, mais aussi un artiste reconnu. Il avait déjà dessiné un motif qui se trouvait sur les boîtes aux lettres placées en ville. Il l’a donc repris et son motif fut accepté. Mais Melchior Berri voulait que « son timbre bâlois » soit encore plus beau que les deux timbres zurichois et celui de Genève ! Il trouvait les couleurs en noir/gris des deux timbres-poste zurichois trop fades, tout comme le vert/noir de celui de Genève. Il imagina donc un timbre avec une couleur rouge, complété d’une impression en relief. Rien que cela !

La « Basler Dybli » en couleurs et relief

Melchior Berri fit la tournée des imprimeurs de Bâle et de la région, mais il n’en trouva aucun qui puisse imprimer son timbre-poste selon ses hautes exigences. Finalement, il trouva son imprimeur en Allemagne, à Francfort-am-Main : l’imprimeur Benjamin Krebs. La première émission (ou tirage d’essai, Probedruck) ne fut pas acceptée par les autorités locales à qui la couleur verte ne plaisait pas vraiment. Elle ne fut donc ni émise ni vendue, mais il arrive que des exemplaires soient parfois proposés à la vente dans des ventes aux enchères. Melchior Berri réalisa finalement la version qui fut acceptée par le Conseil municipal : c’est celle que l’on connaît, en couleurs (blanc, rouge et un pourtour bleu clair) et en relief ! Sur le motif du timbre « Basler Dybli » (c’est la « Colombe de Bâle » en dialecte bâlois), on voit les armoiries de la Ville de Bâle (la crosse en noir), une colombe (en relief) tenant une petite lettre dans son bec sur fond rouge, la mention « STADT-POST-BASEL » (poste locale de Bâle) en bas, et la valeur d’affranchissement de « 2 ½ Rp. » (« Rp. » pour « Rappen » = centimes) en bas à gauche et à droite. Le jour d’émission de ce timbre non dentelé fut fixé au 1er juillet 1845. La date la plus proche du jour d’émission d’une lettre portant une « Colombe de Bâle » est le 7 juillet 1845. D’abord réticents, les Bâlois acceptèrent peu à peu d’affranchir leur courrier avec ce très beau timbre-poste.

Poste locale

Une lettre simple jusqu’à un « loth » (donc 15,6 grammes) postée à Bâle à destination d’un quartier de la ville coûtait 2 ½ Rappen, de même que pour un destinataire habitant l’une des communes avoisinantes. Pour des localités situées pour loin, il fallait coller deux timbres « Colombe de Bâle ». Ce qui est étonnant, c’est de voir que ce timbre est souvent collé en haut à gauche de la lettre, parfois en bas à gauche et rarement en haut à droite (mais jamais en bas à droite, car c’est là que l’adresse devait être écrite) : il semblerait donc qu’aucune directive postale n’existait à ce sujet. Il n’existe que très peu de belles lettres affranchies avec plus de deux timbres « Colombe de Bâle ». Pour oblitérer ce mythique timbre-poste bâlois, la poste locale utilisait un cachet rond et rouge, mentionnant « BASEL » (en haut), puis au centre le jour, le mois et l’année, en bas soit une étoile, soit « VOR-MITTAG » (matin) ou « NACH-MITTAG » (après-midi). D’autres cachets furent plus rarement utilisés, que les spécialistes ont dûment répertoriés dans leurs monographies.

Emissions commémoratives

La Poste suisse a commémoré deux fois sa « Colombe de Bâle ». La première fois en 1945 pour les 100 ans du timbre bâlois (un bloc), et en 1995 pour le 150e anniversaire de l’émission de ce timbre (aussi un bloc). La troisième émission est annoncée pour novembre 2020, dans le cadre de l’exposition de la « Journée du timbre » qui se tiendra à Bâle du 6 au 8 novembre 2020. Il s’agira sans doute d’un bloc-feuillet comme il y en a eu un pour la « Journée du timbre » des années précédentes. Mentionnons encore qu’à cette occasion deux ouvrages seront publiés : l’un sur la vie et l’oeuvre de Melchior Berri, le créateur de la « Colombe de Bâle » (avec des documents inédits provenant des Archives de la Ville de Bâle), et l’autre contiendra toutes les lettres connues à ce jour qui sont affranchies avec ce magnifique timbre de 1845, toutes reproduites en couleurs. De quoi faire rêver tous les collectionneurs de Suisse et dans le monde… !

Nous remercions ici les maisons de vente aux enchères et les philatélistes qui ont gracieusement mis à notre disposition les illustrations de cet article.

 

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Rédigé par Héloïse

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