Vincent Dugomier est scénariste de bandes dessinées. Depuis plus de trente ans, il écrit des scénarios dans différents styles. En 2015, avec son complice de toujours, Benoît Ers, ils lancent une série sur des enfants résistants lors de la Seconde Guerre mondiale, « Les enfants de la Résistance ». Cette série est une fiction basée sur des anecdotes authentiques qui raconte comment trois enfants se sont engagés contre l’occupation en France. Dans le cadre de la sortie du quatrième tome de la série, nous avons eu l’occasion de le rencontrer.

Comment êtes-vous tombé dans la bande dessinée ?

Je suis tombé amoureux de la bande dessinée depuis que je suis tout petit. Je viens d’une famille où la bande dessinée faisait partie des lectures classiques. Nous étions abonnés à Spirou, c’était tout à fait naturel de lire de la B.D..

Très jeune, j’ai voulu en faire mon métier. Au début des années ’80, j’ai suivi le cours de bande dessinée d’Eddy Paape. Je n’étais pas très doué pour le dessin, aussi, j’ai préféré me spécialiser dans le scénario. J’ai pris contact avec Raoul Cauvin (NDLR : n’hésitez pas à lire l’interview de Raoul Cauvin dans le Delcampe Magazine N°4). Il m’a reçu très gentiment. On a beaucoup discuté. Petit à petit, j’ai appris le métier…

 

 

 

Pourquoi avoir choisi de parler de cette sombre période qu’est la Seconde Guerre mondiale ?

Cette période m’intéresse parce qu’elle est en lien avec ce qui se passe aujourd’hui. Parler du passé, c’est bien mais si en filigrane le lecteur peut s’intéresser à ce qui se passe aujourd’hui et éviter d’en reproduire les erreurs, c’est encore plus intéressant.

C’est dans cette perspective que j’ai écrit mon premier scénario. Cette période intéressait aussi beaucoup Benoît Ers, le dessinateur. Par contre, lui voyait plutôt une histoire côté soldat, mais cela ne m’intéressait pas. J’avais envie de me positionner du point de vue des civils.

On en a discuté et très vite, l’idée est venue de rendre les civils actifs en en faisant des Résistants. Cette idée-là est venue facilement du fait que le grand-père de Benoît et ma grand-mère étaient eux-mêmes Résistants. En quelques minutes, le projet de base était lancé.

Quels supports historiques avez-vous utilisés ?

J’ai utilisé plusieurs sortes de sources différentes : d’une part, des livres rédigés par des historiens relativement rébarbatifs mais très pointus, notamment sur le début de la guerre et les prémices de la Résistance. D’autre part, j’ai lu beaucoup de livres et de revues qui expliquent la guerre aux enfants. C’était important de voir comment ils s’y prennent pour expliquer cette période avec des mots simples pour les enfants. Je n’ai par contre pas voulu me plonger dans des fictions sur la guerre pour ne pas être influencé par cela.

Enfin, les témoignages de personnes qui ont vécu la guerre en tant qu’enfants ont été une source très intéressante et importante dans la réalisation de mes scénarios. J’ai pris le temps d’aller interroger mes oncles et tantes, mes parents… pour comprendre leurs émotions d’enfants face à la guerre. Quel a été leur ressenti face à l’arrivée des Allemands, à l’annonce de la guerre, de l’Armistice… J’ai également profité de ces discussions pour collecter des anecdotes que j’ai parfois l’occasion de replacer dans le récit.

Après la sortie du tome 1, cela a été plus facile encore car nous avons eu l’occasion de rencontrer des historiens et des enfants résistants, ce qui nourrit encore le récit.

Parmi ces témoignages que vous avez entendus, y en a-t-il un qui vous a marqué plus que les autres ?

Oui, le témoignage incroyable de Monsieur Jean-Jacques Auduc qui reçut, après la guerre sa carte de Résistant en reconnaissance des services rendus. A 12 ans, en faisant semblant de jouer avec un cerf-volant, il a pu récolter de nombreux renseignements sur un terrain d’aviation. Cette mission lui a valu la Croix de Guerre.

J’ai eu l’occasion de le rencontrer à plusieurs reprises lors de présentations de la série dans les écoles. Il nous a raconté toute sa vie d’une manière à la fois très émouvante et drôle. Il a vécu de nombreux drames qu’il a pardonnés et les explique sans colère ni haine, y mettant même parfois une pointe d’humour.

Je pense aussi à des enfants résistants qui ont expliqué qu’ils vivaient cela dans le bonheur. Avec leurs parents, ils avaient su gérer le stress et l’angoisse. Ils en parlaient avec plaisir et ne semblaient pas avoir été liés au malheur. Tous les témoignages et ressentis sont différents.

On le voit au niveau de vos personnages. Ils appréhendent la guerre de manières très différentes…

Oui, c’est normal, ils l’appréhendent selon leurs vécus et leurs caractères.
Eusèbe avec son père qui est un Résistant malgré lui a plus de mal à éclore. La Résistance le révèle à lui-même. Il ne peut admettre l’occupant et bien qu’introverti, il est prêt à prendre des risques car il refuse d’accepter la situation.

François n’a peur de rien dès le départ.

Lisa est un personnage plus complexe. Elle a peur, tout d’abord, parce qu’elle a vu les attaques lors de son exode en 1940. Germanophone, elle a fui la guerre avec ses parents.

Quel accueil le public a réservé à la série ?

Cela se passe très bien. On a eu un accueil positif de plusieurs générations de lecteurs. Notre public cible est la jeunesse, bien entendu, mais nous avons eu le plaisir de constater que nos albums sont lus par plusieurs générations de lecteurs : il y a aussi des adultes et des personnes âgées.

Nous avons eu la chance de recevoir six prix pour la série dont celui des lycéens à Angoulême.

Nous nous sommes rendu compte aussi que plusieurs personnes étaient motivées à l’idée de faire découvrir la série autour d’elles. Ainsi, nous avons dédicacé dans des mémoriaux, des musées, des écoles… C’est très enthousiasmant ! Le fait que l’album soit à la fois catalogué comme culturel et citoyen nous a ouvert de nombreuses portes.

Il y a aussi une exposition…

En fait, il y en a quatre ! Elles sont mises à disposition à la demande via le site  http://www.lelombard.com/enfantsdelaresistance/index.html#documentspedagogiques

En plus de la BD, votre œuvre contient un dossier didactique sur la guerre. Est-ce à votre initiative ?

Complètement ! L’idée est apparue lors de l’écriture du tome 1. Le dossier ne faisait pas partie du projet initial. Lorsque j’ai commencé la rédaction du scénario de tome 1, je me suis dit que j’allais réaliser un dossier pour mon confort. Petit-à-petit, je me suis dit que ce serait intéressant d’avoir un dossier à disposition du lecteur pour développer certains détails de l’histoire. J’ai tenu à réaliser le dossier moi-même car je voulais qu’il soit parfaitement complémentaire à l’album.

L’éditeur a directement été d’accord. Je trouve cela vraiment très important car cela donne une légitimité à l’album. Quand l’enfant voit des photos dans le dossier, il fait le lien avec ce qu’il a lu dans l’album et se dit : « Mais c’est du vrai, ce n’est pas une fiction ! »

Ce n’est pas la première fois que vous travaillez avec Benoît Ers. Vous vous connaissez depuis longtemps ?

Oui, on travaille ensemble depuis 27 ans ! C’est la quatrième série sur laquelle on collabore. Nous avons une grande complicité dans notre travail. Nous avons l’habitude d’interagir sur le travail de l’autre comme si il n’y avait qu’un seul auteur. On fusionne vraiment nos compétences et nous sommes très ouverts aux remarques constructives de l’autre.

 

Vous êtes aussi un membre de Delcampe. Avez-vous utilisé le site pour rechercher de la documentation ?

Eh oui, je suis tombé plusieurs fois sur Delcampe en faisant des recherches. La section des cartes postales est très fournie et permet de retrouver de nombreuses images relatives à la Seconde Guerre mondiale.

Parfois, on cherche des images du quotidien de l’époque vu que l’action se déroule dans un petit village : gare, usine, péniche… Il est important de rester cohérent par rapport à l’époque. C’est le genre de cartes qu’on retrouve sur Delcampe.

Avez-vous des épisodes de la guerre sur lesquels vous souhaiteriez écrire en particulier ?

L’idée est de raconter toute la guerre mais du point de vue du village. Parfois, quand je veux faire référence à des faits qui se sont déroulés ailleurs, sur le front de l’Est dans le tome 3 par exemple, j’utilise la radio. Benoît dessine alors une image qui représente ce que les personnages imaginent.

Comme ils vont grandir jusqu’à la fin de la guerre, ils vont sans doute bouger, mais nous n’avons pas envie d’être sur le front.

Il y a peut-être des grands faits de Résistance que vous aurez envie de reprendre…

Attention, chez nous, on parle de petits résistants. Nous sommes loin des hauts faits des grands Résistants. Il ne faut pas oublier que nos personnages principaux sont des enfants. On a plus envie de parler des 99,9% des Résistants, ceux dont on ne parle pas généralement qui, à coup de petits actes, ont causé des soucis à l’occupant.

Parler des grands résistants ne nous intéresse pas vraiment. Bien évidemment, nous aborderons de grands personnages comme Jean Moulin, mais plus dans le dossier que dans la fiction.

Les enfants se disent qu’ils recevront de l’aide de Londres, mais ils ne savent pas comment. Par exemple, dans le tome 3, c’est un agent qui les contacte. Celui-ci est évidemment loin de se douter que le « réseau » est dirigé par trois gamins !

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Benoît et moi avons beaucoup de plaisir à travailler pour un éditeur qui nous fait confiance et soutient la sortie de nos albums. Nos ventes sont suffisantes pour savoir que le projet ira jusqu’au bout.

Nous ne savons pas encore combien de tomes fera la série, je l’envisage en sept ou huit albums. Nous irons jusqu’à la fin de la guerre et nous avons aussi envie de traiter la période de l’après-guerre. On a recueilli beaucoup de témoignages à ce sujet. Il est important de parler de comment les gens ont recommencé à vivre après la guerre, comment les pays se sont reconstruits, comment on a récupéré les personnes déportées. Et aussi l’importance de la réconciliation avec l’Allemagne qui très vite a fait partie des pays de l’Union Européenne.

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Rédigé par Héloïse

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Un commentaire

  1. Bonjour, la guerre à travers mes yeux d’enfant peut intéresser aussi car c’est l’histoire d’un enfant dans la résistance